Énergies utilisées
À partir de 1802, la rivière Magog joue un rôle très important dans la fondation et le développement de Sherbrooke. La gorge de la rivière Magog, située entre ce qui est aujourd’hui le lac des Nations et la rivière Saint-François, présente de nombreux avantages qui en font une source d’énergie essentielle pendant les premières phases du développement industriel de Sherbrooke. Le fort dénivelé de la rivière crée un courant rapide, du moins suffisamment pour que l’eau ne gèle pas en hiver. Pour s’assurer d’avoir un approvisionnement constant en énergie hydraulique, la BALCo construit un certain nombre de barrages en amont du lac des Nations, jusqu’au lac Magog.
Les cinq barrages construits à Sherbrooke même servent ensuite à approvisionner en eau les moulins et les manufactures qui, à la fin du 19e siècle, se situent tous le long des rives de la rivière Magog.
Le site n’offre pas que des avantages; il présente aussi de nombreuses contraintes, notamment des rives étroites et des falaises escarpées. En effet, comme les manufactures dépendent de l’eau pour actionner leur machinerie, elles n’ont d’autre choix que de s’entasser là où elles le peuvent sur les rives de la rivière. D’ailleurs, dès 1846 la BALCo appréhende déjà le jour où l’espace viendra à manquer; elle envisage même de construire un canal le long de l’actuelle rue Galt entre le lac des Nations et la rivière Saint-François.
Cette abondance d’eau explique aussi en partie pourquoi les usines de Sherbrooke utilisent peu les machines à vapeur, qui sont pourtant à la base de la révolution industrielle dans d’autres pays — dont l’Angleterre. Il faut souligner toutefois que le charbon, nécessaire à la production de la vapeur, doit être transporté sur de longues distances et coûte relativement cher. Certaines usines ont des machines ou un système de chauffage à la vapeur, mais l’énergie hydraulique demeure la plus utilisée. Les importations massives de charbon par les industriels ne débutent que dans les années 1890.
C’est aussi pendant cette décennie qu’une nouvelle source d’énergie fait son apparition : l’électricité. La rivière Magog démontre encore une fois son potentiel énergétique exceptionnel, mais cette fois-ci pour la production d’hydroélectricité. L’arrivée de nouvelles machines fonctionnant à l’électricité incite un grand nombre d’industries à adopter cette énergie. Trente ans après la construction de la première centrale en 1888 (la centrale Frontenac), les barrages de Sherbrooke ont été soit convertis pour la production d’électricité, soit démolis. Le fait de quitter les rives étroites de la gorge de la rivière Magog permet aussi à un certain nombre de compagnies (la Jenckes, la Rand, et plus tard la Dominion Textile et bien d’autres encore) de se doter de vastes complexes industriels qui pourront accueillir les milliers d’ouvriers et d’ouvrières dont ils ont besoin.
L’énergie hydraulique
Les premiers moulins et l’utilisation de l’eau
Ce n’est pas un hasard si en 1802 Gilbert Hyatt choisit les rives de la rivière Magog près du confluent pour installer les premiers moulins de Sherbrooke. Le débit de la rivière y est rapide (beaucoup plus que celui de la Saint-François), ce qui permet aux moulins de fonctionner toute l’année. Leur construction marque à la fois la naissance de Sherbrooke et le début de l’utilisation de l’énergie hydraulique, laquelle est au cœur du premier développement industriel de la ville. Cette dépendance envers l’eau explique aussi que, jusqu’à l’arrivée de l’électricité à la fin du 19e siècle, toutes les manufactures sont situées aux abords de la gorge de la rivière Magog.
Les barrages de la rivière Magog
En 1802, Gilbert Hyatt construit un premier barrage rudimentaire pour dévier une partie du courant de la rivière vers son moulin; quelques autres s’ajouteront par la suite. C’est toutefois la BALCo qui, à partir de 1834, exploite pleinement le potentiel énergétique de la rivière Magog. Vers 1850, cinq barrages se dressent entre le lac des Nations et la rivière Saint-François. Tous sont équipés de conduites d’amenée, qui acheminent l’eau vers les manufactures situées à proximité. Les barrages servent aussi à assurer aux usines une alimentation en eau constante, peu importe la saison.
La vapeur
Une énergie peu utilisée à Sherbrooke
Dans plusieurs pays qui connaissent une révolution industrielle au 19e siècle, les machines à vapeur sont largement utilisées dans les usines. À Sherbrooke, toutefois, elles se font plutôt rares, car elles nécessitent d’énormes quantités de charbon et son transport par train coûte cher. Toutefois, avant les années 1890, certaines usines se dotent de quelques machines à vapeur, car elles requièrent beaucoup moins d’eau que celles fonctionnant uniquement à l’énergie hydraulique. Après 1890, certains industriels essaient les machines à vapeur, surtout par nécessité, afin de pouvoir s’éloigner des rives de la rivière Magog où un grand nombre de manufactures s’entassent déjà.
L’utilisation de la vapeur à Sherbrooke
Certaines compagnies industrielles sherbrookoises passent directement de l’énergie hydraulique à l’électricité, comme la Jenckes en 1890. La Smith-Elkins, quant à elle, utilise l’énergie hydraulique pour produire des machines à vapeur destinées aux industries papetière et forestière de la région. La Paton, lors de son ouverture en 1867, utilise aussi la force motrice de l’eau pour actionner ses machines, mais chauffe ses bâtiments au moyen d’une machine à vapeur. De son côté, la Rand fabrique (et utilise) des machines à air comprimé actionnées à l’électricité qui se convertissent également en machine à vapeur en hiver. La chaleur de la combustion du charbon pour produire de la vapeur sert aussi à chauffer l’usine. La Rand fabrique également des perceuses et compresseurs destinés aux mines du nord de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.
La ville électrique
L’arrivée de l’électricité à Sherbrooke
En juin 1880, le cirque américain Forepaugh attire (avec succès) les Sherbrookois avec une attraction un peu particulière : une démonstration de l’utilisation… d’une ampoule électrique! Pour beaucoup, il s’agit d’un premier contact avec cette source d’énergie. Quelques compagnies tentent par la suite d’installer des lampadaires à Sherbrooke, mais sans succès. En 1888 toutefois, la compagnie Sherbrooke Gas & Water — après voir parlé d’une mode passagère quelques années auparavant — construit une première centrale hydroélectrique à côté du barrage no 3, aujourd’hui la centrale Frontenac. En décembre de la même année, la rue Wellington et quelques autres du Vieux-Nord sont éclairées par des lampadaires, plutôt que par des réverbères au gaz. Rapidement, des commerces, des institutions et des usines adoptent aussi cet éclairage.
L’électricité dans les usines
Les moteurs et machines industrielles alimentés à l’électricité prennent quelques années à s’implanter sur le plancher des usines. Certains propriétaires doutent de l’efficacité de ces machines et préfèrent continuer à utiliser l’énergie hydraulique que fournit la rivière Magog. En 1895, la Canadian Rand Drill et le fabricant de vêtements Walter Blue sont les premiers à se doter d’équipements alimentés à l’électricité. Dans les années qui suivent, les autres usines convertissent graduellement leur machinerie. L’électricité offre un avantage convaincant : les usines ne sont plus obligées de s’entasser sur les rives de la rivière Magog. Elles peuvent ainsi construire de plus grandes installations ailleurs dans la ville, à proximité des chemins de fer.
La conversion des premiers barrages
L’abandon de l’énergie hydraulique par les usines à partir du début du 20e siècle au profit de l’électricité entraîne certains changements dans l’aménagement de la rivière Magog. Le débit rapide de l’eau reste très utile pour la production d’électricité : certains barrages sont tout simplement convertis afin de pouvoir produire de l’électricité. Trois centrales hydroélectriques sont donc mises en fonction près de barrages existants, soit la centrale Frontenac, la centrale Paton et celle alimentant le réseau de tramways, près du barrage no 4. Les autres installations, devenues inutiles, sont détruites dans les années 1910.
La municipalisation
Au début du 20e siècle, la production et la distribution d’électricité à Sherbrooke sont l’affaire de compagnies privées, en particulier la Sherbrooke Gas & Water Co., devenue la Sherbrooke Power, Light and Heat en 1902. Des conseillers municipaux jugent toutefois que l’électricité, comme l’eau, est un service public, et entreprennent dès 1902 des démarches pour que la Ville achète les avoirs de la compagnie. Le débat est long et âpre : le conseil municipal est divisé entre les Canadiens français (auxquels se joint Daniel McManamy, un Irlandais catholique) et les anglo-protestants. Quatre référendums municipaux sont nécessaires pour que la municipalisation aille de l’avant, car chaque fois le vote de la population est divisé sur les mêmes lignes que les conseillers municipaux. Le quatrième référendum, survenu en mars 1908, permet finalement la municipalisation du service.
L’extension du réseau électrique
Comme l’utilisation de l’électricité se répand tranquillement dans les demeures des Sherbrookois et dans les usines, le tout nouveau Département du gaz et de l’électricité n’a d’autre choix que d’accroître sa capacité de production d’hydroélectricité en construisant de nouvelles centrales. La première, située à Rock Forest, entre en service dès 1912 et double à elle seule le potentiel énergétique de Sherbrooke. La Ville achète aussi une centrale à Weedon en 1916, la reconstruit en 1920, puis en construit une autre à Westbury en 1929. Lorsqu’elles vantent les mérites de Sherbrooke auprès de compagnies manufacturières, les autorités peuvent désormais dire qu’elles ont de l’énergie électrique à revendre, et surtout à des prix très concurrentiels.