Les transports
Jusqu’aux années 1850, Sherbrooke est très isolée des grands centres et peine à prendre son envol industriel malgré des prédispositions très favorables, notamment en matière d’énergie hydraulique. Les voies navigables offrent des perspectives très limitées et le réseau routier est peu développé et en très mauvais état. L’arrivée du train en 1852 donne lieu au désenclavement de la région sherbrookoise, d’autant plus que la ville se retrouve rapidement au centre du réseau du Grand Tronc. En effet, les marchandises et les passagers à destination de Montréal, des provinces maritimes ou encore du Maine devront passer par Sherbrooke. Le positionnement de la ville s’avère très profitable à son développement industriel et à l’afflux de main-d’œuvre. À la fin du 19e siècle et au début du 20e, les industries n’auront plus à demeurer à proximité des barrages hydrauliques pour s’approvisionner en énergie; elles iront plutôt s’installer près des gares, ce qui entraînera le développement de deux nouvelles zones industrielles à Sherbrooke.
Parallèlement à l’urbanisation, l’arrivée du tramway en 1897 permet aux ouvriers de s’éloigner des zones adjacentes aux usines pour se loger dans des secteurs un peu plus éloignés. Le quartier Est profitera beaucoup de l’instauration de la ligne Park qui se rend jusqu’au parc Victoria. La fin du service, le 31 janvier 1931, forcera la Ville de Sherbrooke à mettre en place sans tarder un réseau d’autobus efficace pour assurer le transport des milliers d’ouvriers et de travailleurs qui ne sont pas à distance de marche de leur lieu de travail.
À la fin du 19e siècle, Sherbrooke n’échappe pas à l’engouement de certains pour les voitures non hippomobiles. La première voiture à essence au Canada aurait en effet été construite sur la rue Water (actuelle rue des Abénaquis) par George Foote Foss en 1897. Au cours des décennies suivantes, la présence des automobiles augmente progressivement dans les rues de Sherbrooke, ce qui cause un certain nombre de problèmes (partage des voies, chevaux apeurés, besoin en stationnement, etc.) et influence la gestion du développement urbain.
Les voies navigables
Au fil de l’eau
Au cours des premières décennies du 19e siècle, les Cantons-de-l’Est et le village de Hyatt’s Mills, lequel prendra le nom de Sherbrooke en 1818, sont isolés de la vallée du Saint-Laurent et de la côte est des États-Unis. Compte tenu de l’état misérable des routes, on voit alors la configuration des rivières comme un bon moyen de favoriser le développement économique de la région. Dès 1817, des marchands paient pour l’aménagement de sentiers de portage sur la rivière Saint-François : Sherbrooke devient un entrepôt pour les sels de potasse et de perlasse produits partout en région, lesquels sont expédiés vers le Saint-Laurent sur des bateaux à fond plat.
De la voie navigable à la voie ferrée
En 1831, le marchand et député de Sherbrooke Samuel Brooks fait adopter par le Parlement du Bas-Canada un budget de 12 000 $ pour aménager les rivières de la région en vue de créer une voie navigable entre le fleuve Saint-Laurent et la rivière Connecticut aux États-Unis. Des travaux sont entrepris pour contourner certains rapides sur les rivières Saint-François et Magog, mais le projet est abandonné en 1835. L’intérêt des hommes politiques et des commerçants de la région se tourne alors vers un mode de transport moderne et plus efficace : le train.
Les bateaux à vapeur : pour le plaisir!
Bien que les voies navigables des Cantons-de-l’Est ne se prêtent pas au transport de marchandises, l’industrie touristique sait toutefois en tirer profit. Vers la fin du 19e siècle, les courtes croisières en bateaux à vapeur sur le fleuve Saint-Laurent ont la cote, et les Cantons-de-l’Est partagent aussi cet engouement. Sur le lac Memphrémagog, les navires à vapeur Mountain Maid (1850-1890) et Lady of the Lake (1867-1917) offrent des croisières aux touristes, entre Magog et Newport, au Vermont. À Sherbrooke, la compagnie Smith-Elkins construit l’Enterprise (1878) qui, pendant deux ans, sillonne quotidiennement la rivière Saint-François entre Sherbrooke et Brompton Grove (aujourd’hui Bromptonville).
Les diligences, une nécessité malgré les difficultés
Les premières diligences entre le Bas-Canada et les États-Unis
Avant l’arrivée du chemin de fer, le transport terrestre de personnes et de biens entre le Bas-Canada et les États-Unis se fait en diligences. Les Cantons-de-l’Est se trouvent alors au cœur de ce réseau. Les routes qui relient la région au Vermont, à l’État de New York et à Boston sont très utilisées par les colons américains qui viennent entre autres s’établir à Sherbrooke. On tente à quelques reprises d’établir des circuits de diligences un peu plus permanents entre Québec et Boston, mais la guerre de 1812 et l’entretien difficile des routes entraînent leur fermeture.
Le transport de la poste et des colons
Le réseau routier des Cantons-de-l’Est se développe beaucoup grâce à deux éléments : la poste, et l’arrivée de colons. La BALCo, qui veut faciliter l’immigration britannique dans la région, ouvre en 1834 une route reliant Sherbrooke à Port-Saint-François (Nicolet). Pour la population de la ville, il s’agit de la route la plus directe pour se rendre à Montréal ou à Québec. En 1845, le courrier de Grande-Bretagne à destination du Canada débarque désormais à Boston, et transite ensuite par Sherbrooke en diligence. Le réseau routier se développe alors encore plus, ce qui facilite grandement les communications vers Québec, Montréal et Boston.
Des voyages longs et peu confortables
En plus de la poste, des biens et des colons, les diligences sont utilisées pour le transport des voyageurs. Tout un réseau de relais et d’auberges est mis en place le long des principaux trajets. Le voyage n’est toutefois pas de tout repos : les distances sont grandes, les diligences sont lentes (environ 8 km/h), et les routes de terre sont souvent en mauvais état. En 1830 par exemple, il faut de deux à quatre jours de voyage pour atteindre Montréal. Et si la neige et la glace rendent les routes plus praticables et plus rapides pour des diligences à patin, le froid de l’hiver rend le voyage encore plus inconfortable.
La lente disparition des diligences
Beaucoup plus rapide, efficace et confortable que les diligences, le train s’impose comme le meilleur moyen de transport pour les marchandises et les voyageurs, et ce, dès son arrivée à Sherbrooke en 1852. Des diligences continuent toutefois à faire le lien entre Sherbrooke et les villages environnants. Elles servent aussi à y distribuer le courrier, qui est livré par train à Sherbrooke. Dans la ville même, plusieurs hôteliers ont des diligences qui font la navette entre la gare et leur établissement pour transporter les voyageurs. Des circuits touristiques en diligence existent également, et ce jusqu’au début du 20e siècle.
Le développement du réseau ferroviaire
Pour désenclaver Sherbrooke et les Cantons-de-l’Est
Les routes en mauvais état et l’absence de voie navigable acceptable isolent les Cantons-de-l’Est du reste du Bas-Canada et des villes du nord-est des États-Unis. Très tôt, les élites politiques et économiques comprennent l’importance du chemin de fer pour le développement de la région. En effet, tous les pays qui connaissent une révolution industrielle au 19e siècle sont dotés d’un réseau de chemin de fer structuré, ce qui leur permet de transporter de nombreux passagers, de même que de grandes quantités de marchandises, de matières premières et de produits agricoles sur de longues distances, et à faible coût.
Un premier projet avorté
En 1836, la Champlain & St-Lawrence Railroad inaugure le premier chemin de fer au Canada, entre La Prairie et Saint-Jean-sur-Richelieu. Dès cette année, une série de projets de chemin de fer dans les Cantons-de-l’Est sont lancés, mais ne seront pas menés à terme. En 1840-1841, des marchands de Sherbrooke fondent l’Eastern Townships Railroad, et cherchent à relier Sherbrooke à Saint-Jean-sur-Richelieu. Des études sont menées, mais le projet est abandonné en raison de problèmes de financement. Il faudra attendre 1852 avant que Sherbrooke soit desservie par un chemin de fer, le Grand-Tronc.
La St-Lawrence & Atlantic Railway : l’arrivée du chemin de fer à Sherbrooke
En 1843 la compagnie St-Lawrence & Atlantic Railway veut relier Montréal à Portland, au Maine, au moyen d’un chemin de fer. À Sherbrooke, les députés Edward Hale, Samuel Brooks et Alexander Galt appuient le projet avec enthousiasme; ce dernier deviendra même le président de la compagnie en 1849. Le 11 septembre 1852, la ligne entre Longueuil et Sherbrooke est inaugurée, et en juillet 1853 la portion Sherbrooke-Portland est complétée. La compagnie éprouve toutefois de graves difficultés financières, et Galt négocie sa fusion avec la Grand Trunk Railway. La transaction est effectuée en 1853.
Un pivot du réseau ferroviaire canadien
Le développement industriel bénéficie de la place de choix qu’occupe Sherbrooke dans le transport ferroviaire canadien, alors que la ville devient un pivot central du Grand Tronc. Les matières premières arrivent de partout, et les produits manufacturés sont expédiés en grande quantité. Sherbrooke se développe désormais autour des gares : le carrefour King-Wellington devient le centre commercial dès les années 1860, et le carrefour Belvédère-Galt s’industrialise au début du 20e siècle, après l’arrivée de la gare du Canadien Pacifique. En 1900, six lignes de chemin de fer passent par Sherbrooke; elles relient la ville directement au reste du pays et à une bonne partie des États-Unis. Montréal, par exemple, n’est alors plus qu’à quatre heures de train.
Les tramways de Sherbrooke
La Sherbrooke Street Railway Co. et l’arrivée du tramway
C’est un groupe d’hommes d’affaires de la région qui, voulant doter Sherbrooke d’un réseau de tramway électrique comme plusieurs autres villes de la province, fonde en 1895 la Sherbrooke Street Railway. Vendue à des Américains en 1896, elle met en service ses premiers tramways en 1897. La compagnie produit aussi sa propre électricité au moyen d’une centrale hydro-électrique construite à côté du barrage No 4. Devenue la Sherbrooke Railway & Power en 1910, la compagnie de tramway reconstruit le barrage, et érige l’actuelle centrale Abénaquis
Sherbrooke, ville moderne!
Lors de la mise en service du tramway en 1897, Sherbrooke est la plus petite ville au Canada à se doter d’un tel réseau. Il est toutefois très utile pour l’image que la ville veut se donner : Sherbrooke est vraiment une ville moderne! Le tramway permet surtout à plusieurs citoyens de se déplacer un peu plus rapidement (24 km/h!), et à des horaires fixes, vers leurs lieux de travail. Les principaux secteurs industriels sont connectés au réseau, et certains quartiers voient une hausse du nombre d’ouvriers qui y habitent. Tous sont à moins de dix minutes de marche d’un arrêt.
Plus d’un million de passagers par année!
En 1897, le prix pour un passage en tramway est de 0,05 $ le jour et de 0,10 $ la nuit. Le service est offert de 6 h 30 à 23 h, et les tramways passent à des fréquences allant de 15 à 30 minutes. À son apogée, dans les années 1920, le réseau comprend 18,5 km de voies, 17 tramways, et transporte entre 1,3 et 1,8 million de passagers par année. Pour plus de commodité, certaines lignes sont dotées de deux voies, permettant aux véhicules de circuler dans les deux sens, et la fréquence des passages passe à cinq minutes à certains endroits.
La fin du tramway à Sherbrooke
Le tramway ne fait pas que des heureux. En 1920, la Sherbrooke Railway & Power est endettée et décide de hausser ses tarifs, ce qui ne fait pas l’affaire de tous. Beaucoup lui imputent aussi la congestion sur certaines rues, d’autant plus que les automobiles sont de plus en plus présentes à Sherbrooke. En décembre 1931, la compagnie somme la Ville d’éponger son manque à gagner et de lui fournir gratuitement l’électricité dont elle a besoin, ce qui totalise environ 50 000 $ par année. La Ville refuse, ce qui entraîne la fermeture du réseau le 31 décembre 1931. Le transport en commun est par la suite assuré par des autobus.
Le développement du réseau
La gare de la rue du Dépôt constitue le cœur du réseau de tramways. De là partent les trois circuits mis en service en 1897 et 1898 : Belt (vers la rue Belvédère), Lennoxville et Park (vers le parc Victoria). La ligne Newington est ajoutée en 1911, tout comme la ligne Frontenac vers les rues Portland et Ontario. Puis, en 1920, on crée la ligne Fairmount en direction des usines situées près du carrefour Galt-Belvédère. Cette même année, la Sherbrooke Railway & Power réorganise son réseau pour réduire le nombre de circuits de six à cinq, puis à quatre : Newington, Fairmount, Park et Frontenac. Les deux nouvelles lignes Fairmount et Frontenac englobent les anciens circuits Lennoxville et Belt, qui disparaissent alors.
Les débuts de l’automobile
L’arrivée de l’automobile à Sherbrooke
L’automobile fait son apparition à Sherbrooke vers 1900. D’abord vue comme un « sport extrême » pratiqué par seulement quelques personnes, la conduite automobile gagne en popularité dans les années 1900 et 1910. Sherbrooke compte alors des concessionnaires de plusieurs marques de voiture, dont Oldsmobile, Buick-McLaughlin, Chevrolet et Cadillac. De plus en plus populaire au fil des années, l’automobile est utilisée par certains pour se déplacer au quotidien, ou encore pour faire du tourisme dans la région ou aux États-Unis.
Le partage des voies
Sous l’effet du nombre croissant d’automobiles à Sherbrooke dans les années 1920, la question du partage de la route entre les voitures, les tramways, les diligences et les piétons se complique. Les autorités de la ville adoptent les premiers règlements, et les premiers feux de circulation installés en 1930 au coin des rues King et Wellington viennent mettre un peu d’ordre dans le fouillis qu’est alors la circulation dans les rues de la ville. Ce carrefour connaît d’ailleurs de très graves problèmes de circulation. L’arrivée massive de l’automobile a toutefois certains effets bénéfiques : les rues, souvent en très mauvais état, sont désormais pavées et entretenues, et des trottoirs y sont aménagés.